Le Mans Pop Festival 2021

Sophie Cantier

Sophie Cantier

Les mélodies prennent voyages dans leurs filets à la mélancolie lumineuse. Flottantes et enveloppantes. Amples et intimes. Les mots s’enrubannent comme des offrandes précieuses et fragiles, sincères et évocatrices. De l’ivresse d’aimer à l’évasion rêveuse, de sensations diffuses à la douceur du souvenir, Songez exsude un humble sentiment d’accord et de plénitude. Fruit de la trajectoire singulière de Sophie Cantier, venue tardivement à la chanson après un long détour par la réalisation de courts-métrages et de films d’entreprise. Une pratique pourtant précoce – elle compose depuis l’âge de huit ans -, assidue, même vitale, mais tenue à l’écart d’oreilles et de regards extérieurs. Oser effectuer le grand saut. Dépasser cette angoisse tenace. Ne pas avoir de regrets. Laisser une trace aux proches. Le déclic survient, il y a cinq ans. Presque à mi-chemin de la traversée de sa quarantaine, boostée par un atelier collectif à la Manufacture Chanson et sa rencontre avec le pianiste de jazz martiniquais Hervé Celcal. Puisant dans la matière qu’elle avait secrètement accumulée, Sophie Canter écrit alors la première ligne de son histoire musicale. Rue Racines, disque dont le titre renvoie au lieu géographique toulousain dans lequel elle a grandi jusqu’à son départ à Paris au moment de sa majorité. Disque aux arrangements plus irisés, où le créole s’invite déjà à flirter parfois avec la langue française. En quête de légitimité, elle préfère avancer masquée : Rat’Shak, mélange de sonorités provenant d’une expression favorite de sa grand-mère martiniquaise. Des premières parties, dont celle d’Yves Jamait. Des tremplins, fréquemment. Des prix, beaucoup, notamment ceux d’interprétation et du coup de cœur des programmateurs au cours de l’édition 2021 d’ « A nos chansons » à Ivry. Là-bas, cette autodidacte y interprète Je m’suis fait tout petit de Brassens en y injectant du créole. La chanson devient Mwen Viri Piti et surtout un porte-bonheur pour elle, au point de naturellement l’intégrer dans l’album Songez.

Fini le tour de passe-passe identitaire. Sophie Cantier amasse suffisamment de confiance et de retours positifs pour reprendre son patronyme au civil. Elle porte la marque d’influences plurielles, situées quelque part entre Michel Berger, Véronique Sanson, Barbara, William Sheller – des artistes qui, au même titre qu’elle, ont le piano comme fidèle allié – et Malavoi. Enregistré dans les conditions du live et une configuration piano-voix, ce deuxième album emprunte la voie de l’affirmation. Glissement surtout vers la pureté des lignes mélodiques, des orchestrations à visage humain, un vent chaud, une économie de mots, une envie de suggérer et une élégance intemporelle. La voix chaude et claire, qui passe inévitablement par le cœur et cousine avec celle de la Québécoise Catherine Major, développe sa belle ampleur tandis que le violoncelle embrasse aussi bien le lyrisme que le percussif. Des chansons contemplatives et sensitives, traversées par les éléments naturels et le mouvement.

Sophie Cantier convoque le désir (Songez), l’étrangeté (Le bruit des villes), l’exil et la perte de mémoire (La Nou Yé, à destination de sa grand-mère), la consolation (Interlude sous la lune), l’absence (Muraille de Chine), le couple (Le chemin le plus court), l’universalité (Sonjé). S’empare d’un poème vibrant de l’Iranienne Forough Farrokhzad (Mon cœur tu es fou). Il y a là encore deux titres co-écrits au cours de son passage aux Rencontres d’Astaffort. L’un avec Julien Madier, variation sur le même thème de Lâche-moi de Clarika (Va). L’autre en compagnie d’Antoine Armedan, dans la lignée du Petit bal perdu (Là où nous dansions). Tout est désormais limpide chez une Sophie Cantier à la lucidité généreuse et décidée à jouir pleinement de son statut de chanteuse.

Suivez-nous en temps réel

#LMPF