Natacha Tertone
Natacha Tertone
C’est par C’est que ça a commencé. Sor sur une pete compil, ce tre bricolé chez elle par la jeune lilloise à la fin des années 90 la fit repérer par une paire d’étudiants, qui décidèrent après l’avoir vue en concert de monter leur label (B pourquoi B ?). Il faut dire que tout y était déjà : une chanson ternaire, lofi, fragile, en équilibre précaire, et terriblement touchante, sans presque qu’on sache pourquoi. Le grand déballage, c’est toute une époque brève mais intense où l’on croise entre autres les mots simples et bruts du Remué de Dominique A ou les mélodies bruistes des voisins belges, contemporains de Natacha Tertone.
Oublions vite le jeu de mot un peu pourri du nom, simplement là pour coller avec son vrai prénom, et choisi un peu dans l’urgence pour sa sonorité : Natacha songeait plutôt de son propre aveu à une chanson-hommage de Gainsbourg ou à un album de Bashung, qu’aux astuces verbales présentes dans ses tous premiers textes. Dans l’urgence car tout est allé très vite pour elle, trop peut-être. Pour l’engouement sur son projet, mais avant cela pour sa vie d’adolescente : être brillante à l’école comme au conservatoire n’empêchera pas Natacha de connaître un parcours chaoque, et déjà singulier.
Pare de l’édifiant carcan monodique de la flûte traversière, dont synthés et magneto 4 pistes l’émancipent, inspirée voire libérée par l’élégance minimaliste des pionniers de la « nouvelle scène française », elle rencontre Bruno Mathieu, un ba6eur de metal biberonné à Zappa, officiant déjà et encore aujourd’hui au sein des increvables Unswabbed. Il devient le catalyseur et le complice avec lequel ses premières chansons prennent forme et séduisent. D’abord Ravie, EP autoproduit paru en
98, avec certains textes sans doute trop li:éraires empruntés à une autre plume (Christèle Vent de Vielle), car Natacha se souciait alors plutôt de la musique que de mots prétextes à faire des chansons, et doutait un peu des siens avant que de nombreux éloges ne la confortent.
Mais Le grand déballage en recueillera beaucoup plus, parfois nuancés mais toujours enthousiastes, propulsant Natacha Tertone, Bruno Mathieu et son frère Philippe sur une cinquantaine de scènes : Chorus 92, Inrocks, Dour, Nuits Botanique entre autres, une signature chez l’éditeur Sony ATV, puis une sélecon au FAIR en 2002. On reviendra plus loin sur la genèse de cet album paru à l’origine sur B pourquoi B ? le 8 février 2000 et les chansons qui le composent. Il faut pourtant déjà répondre à une queson, ou plutôt deux : pourquoi tout ça s’est arrêté, pourquoi a-t-on perdu de vue l’étoile filante ou plutôt la comète Natacha Tertone, et pourquoi ce retour si longtemps après ?
Déstabilisée par le décès prématuré de son père, Natacha voit par ailleurs son trio se disloquer par des tensions sur le plan arsque. Alors qu’elle est entrée en studio avec une nouvelle équipe de musiciens et le regre:é Tom Pintens de Zita Swoon à la réalisaon, le monde tourne la page du siècle qui vient de s’achever quand les Twin Towers s’effondrent. Financièrement fragile et planté par un autre arste, le label B pourquoi B ? s’effondre lui aussi peu après, laissant Natacha seule avec un 2e album inachevé. La tentave de poursuivre avec un des musiciens du studio ne dure que quelques mois, puis Tertone est mis en sommeil. Elle poursuit la musique avec un ancien pensionnaire de son défunt label (Unnu avec Eric du groupe Lazzi), chante sur le premier album de Verone, place des textes chez d’autres via son éditeur, mais elle finit par s’éloigner de tout cela. Le temps d’être maman aussi intensément qu’elle a l’habitude de faire les choses.
La musique n’est pourtant jamais très loin, par l’apprenssage de ses enfants justement, mais aussi la direction de chœur et la reprise du conservatoire. Et puis la scène avec le second grand complice de l’aventure Tertone : Jean-Christophe Chevenal, réalisateur de l’album venu comme elle du classique, dont le travail sur Le grand déballage a dit-il changé sa vision de la musique. Déjà invitée sur les albums de son projet Jeancristophe, Natacha remonte sur scène à ses côtés en 2017, pour le conte musical jeune public Comment devient-on un gens ? Enfin, parce que leurs filles fréquentent la même école, c’est par un heureux hasard qu’elle recroise Bruno Mathieu début 2023, et qu’ils décident vite de reprendre l’histoire là où elle s’était arrêtée.
Évoquant avec une poésie simple le désir d’un nouveau départ, il était presque logique que le premier extrait de l’album soit Les occasions manquées, qui l’ouvrait d’ailleurs (si l’on excepte l’instru Srevnela, piste 0 du CD si votre platine veut bien aller la chercher). Il y a d’abord ce6e voix, douce et éthérée, aérienne et pourtant si proche, un peu enfanne aussi. Qui est d’ailleurs sensiblement toujours celle de Natacha après tant d’années, on le vérifiera bientôt en live. Et déjà, synthés analogiques et boîte à rythme vintage lo-fi, associés au vibraphone, donnent une couleur singulière à ce:e mélodie simple et mélancolique, posée sur un beat binaire à l’effet hypnoque. Comme ce tre en équilibre entre évocaon nostalgique et élan vers l’avenir, la producon parculière offerte par Le grand déballage n’est ni « intemporelle », ni « dans l’air du temps » mais trop singulière pour être datée.
Bien sûr, Les cartes postales donnera quelques indices sur le millésime, « celles à deux francs » suggérant qu’on est là juste avant un grand tournant. Peut-être est-ce justement ce senment qu’on peut avoir vis-à-vis de Natacha Tertone et de ce retour inattendu, elle qu’on pouvait légimement penser disparue, restée suspendue aux derniers instants d’une époque révolue. Première incursion ternaire avec ce second single, fausse nostalgie d’un temps dont on ne sait pas si l’on doit le regre:er, paroles simples, presque naïves, guitares abrasives mais pas encore envahissantes, orgues tournoyants, caisse claire qui finit par s’imposer comme pour mettre fin à cette ritournelle inexorable. Simple, non ?
La simplicité c’est souvent ce qu’il y a de plus difficile à trouver. Et à ce
titre tous ces moments constitue la quintessence de ce que Natacha Tertone offre de plus précieux. Les chansons sur l’absence, la perte ou la rupture sont légion, mais celle-ci possède quelque chose d’assez universel, qui fait que chacun pourra sans même y prendre garde y projeter ses propres blessures. Brouiller la temporalité semble être une
ligne de force de ce disque, puisqu’en l’espèce Natacha pleurait ici une perte qui n’était pas encore survenue. Les mots sont simples, à nu sur les senments, sa voix chuchote d’abord à nos oreilles, et chaque fois (oui chaque fois même après des années), c’est comme un petit tourbillon…
Bien sûr il y a un pet côté un peu maso, comme si s’apitoyer sur son sort était le sport national d’une indie nation pas trop en phase avec le temps des startups. Mais la simplicité désarme souvent les réserves. C’est, on l’a dit, en constue un bel exemple, sans presque aucun luxe de contexte ni de forme d’ailleurs, et puisque ça marche bien comme ça, et en ternaire là encore, alors bon tant pis. Si le scénario plus élaboré de L’avalanche peut entraîner un peu moins d’empathie, la rece:e ternaire reste la même, poussée vers quelque chose d’encore plus inexorable, et ce:e fois beaucoup moins minimaliste, et voloners bruiste, le larsen comme écho du désordre intérieur. Parfois même pour l’exprimer, Natacha Tertone et les frères Mathieu n’hésitent pas à saturer le spectre sonore, comme c’est le cas sur Le désamour et son final, aussi abrupt que ces soulagements qui laissent pourtant un certain vide. On appréciera d’autant plus le remastering que la dynamique est importante pour ce disque, surtout sur Déjà le temps qui navigue entre proximité et distance, entre minimalisme et saturaon, entre fil mélodique et brouillard bruiste.
Et si l’on préfère revenir sur l’os, Ka!oucha sera d’autant plus édifiante qu’elle est en allemand, parvenant à toucher par ses sonorités à l’étrange exosme, même si l’on a fait Espagnol en LV2. Malgré la touche globalement lofi, la pale6e est large, insufflant le venin et l’andote dans un même élan, parfois au ralen d’ailleurs comme le tempo où se déploie Le grand déballage, vicieux comme le fiel, tenace comme la rancœur, froid comme la vengeance. Vécu ou imaginaire ? La conclusion de Oui, mais… ne donne pas vraiment la réponse, bande-son d’une sorte de rêve dont on ne sait pas s’il faut s’en réveiller ou le prendre pour le réel.
Parfois la métaphore est explicite, comme sur La découpe, installant en seulement deux minutes et une poignée de secondes une sidéraon, servie par l’envolée d’un instrumentarium encore élargi. Comme souvent ici le format est très court, car il n’a pas besoin de s’étendre pour emporter le morceau. Et si le tre supposément final de l’album en affiche plus de onze, c’est que ce singulier Incident domestiques nous fait le coup du tre caché, l’étrange instru Derrière les rochers mélangeant là encore sons électroniques cheap ou vintage et instruments acousques. Avant cela, Incident domestique saisit par son alternance entre la lourdeur post rock en mineur de son entame, et les allers- retours incongrus d’une fanfare qui semble faire le tour du pâté de maison, comme le monde autour ignore les tracas du for intérieur.
Absents du CD d’origine qui ressort, une paire de tres issus de la compil publiée en 2000 par B pourquoi B ? complètent l’album en format numérique : La le’re, deux minutes là encore, montrant la capacité de Natacha à adoucir un peu sa mélancolie pour aborder quelque chose d’un peu plus léger dans la forme, comme l’instru Tu m’écoutes ? s’autorisant les accords majeurs sans perdre la couleur propre à Tertone. Quelques indices peut-être sur les chansons qui prendront place sur le second album que Bruno et Natacha annoncent pour 2025. On pourra en découvrir certaines en live dès le printemps 2024. Avec beaucoup d’envie, des parcours et des vies ayant nourri leur créaon, mais bien sûr comme pour ceux qui les a:endent depuis si longtemps, ce:epete anxiété qu’on peut ressenr lorsqu’une porte s’ouvre à l’instant des retrouvailles…
Alors, qu’est-ce que C’est Natacha Tertone, tant d’années après ? On ne sait pas encore mais voilà, c’est là. Enfin.