Casagrande

« Villes Sauvages »

« Heureux d’être triste ». Cette formule lapidaire pourrait correspondre à ce que Casagrande, alias Nicolas Contant parvient à faire passer au travers de son album « Villes Sauvages ». 

Et cela tombe plutôt bien car c’est justement d’esprit saudade que le sel de ces onze chansons se compose. S’il s’agit de mélancolie derrière chacune des mélodies, en sous-couche de chacun des mots choisis, il est cependant inutile de s’attendre à un énième album dépressif d’une chanson française qui parfois se love trop facilement dans ces aspérités attendues. Non et mille fois non : Casagrande distribue plutôt onze cartes postales d’un paysage émotionnel certes rempli de doute, mais aussi, et surtout, de joie.

Du tumulte de ces villes sauvages au calme des rivières, de (re)découverte de la nature et du vivant, Casagrande semble sur cet album vouloir se soustraire à la véhémence des milieux urbains, s’éloigner de l’émulation permanente créée par les foules. Ce pari musical s’affranchit ainsi du passé et regarde droit devant. Le passé, c’était Pendanstàn, avec qui il avait sorti deux albums et trois EP, dont un en hommage à Jacques Prévert.

Devenu Casagrande, Nicolas Contant entend bien nous emmener vers un ailleurs.

L’album s’allume sur « Tout était éteint », qui en plus de jouer sur la sonorité du T, s’amuse à confondre la nuit et le jour, comme pour défier la litanie du temps qui passe, la folie intérieure qu’a pu créer la période des confinements, le tout sur une mélodie hypnotisante et un gimmick vocal entêtant.

« Silures » quitte les Villes Sauvages et poursuit sa balade à la campagne en convoquant des souvenirs d’enfance dans une voluptueuse mélancolie qui semble aspirer à renouer avec de doux moments, avec une production léchée et vintage, sur laquelle Nicolas Contant joue des contrastes de tonalités vocales.

Même rondeur et suavité du son, signé Fabien Martin (Robi, Emilie Marsh, Nicolas Paugam, Celine Ollivier…) sur un duo qui a tout d’un classique, « Le Gant sur la Peau ». Le titre ressemble à l’une de ces chansons que l’on jurerait connaître depuis l’enfance, entendu dans la voiture des parents à la fin aôut au retour des vacances, et qui a laissé une empreinte indélébile. Chanté avec Armelle Pioline des groupes Holden et Superbravo, ce titre semble bel et bien avoir toujours existé. N’est-ce pas là précisément la définition d’un tube ?

Nicolas Contant ne fait pas que composer, écrire et interpréter : il sait raconter ses chansons. Rien d’étonnant à ce qu’il ait donc déjà concocté, à son adolescence, des musiques de films imaginaires, des sonates d’inspiration classique et un ragtime… Éclectique, féru de notes qui sonnent comme des images, l’écriture est pour lui le support de la composition, et inversement. Et une composition qui débute laborieusement ne doit selon lui pas exister in fine. « Je n’ai jamais choisi entre paroles et musique. Les deux sont indissociables. C’est Igor et Grichka, Gilgamesh et Enkidu. La magie naît de cette rencontre. Ou pas d’ailleurs. Donc dès que l’amorce est faite avec deux mots ou deux notes, ça s’enchaîne très vite. La chanson se fait en une après-midi. Celles qui viennent péniblement meurent d’elles-mêmes« .

Cette urgence se ressent notablement sur l’enlevé « Tégénaire », ritournelle galvanisante à l’efficacité rare qui convoque un rythme presque dansant, que ni les Strokes ni Florent Marchet n’auraient reniée, tandis que « Sur les Balançoires » chanté avec Colotis Zoé (Caravan Palace) et son atmosphère jazzy revigorante stimule l’imagination et nous renvoie à nos premiers émois maladroits et fébriles de l’adolescence. Ami depuis l’adolescence avec Zoé, il a profité de ce duo pour célébrer leur complicité avec un texte en grande partie autobiographique.

 « Adieu Billancourt », « Hirondelle » distillent une ambiance badine et provoquent un frisson immédiat, tandis que « Baltimore » redore de manière très poétique le blason d’une ville laissée pour morte par l’inénarrable et légendaire Randy Newman, tout en exhumant des boucles de saxophones à la Steve Reich qui partent dans un solo épique.

Les chansons de Casagrande s’expriment avec une pudeur jamais corrompue par l’appât du tout démonstratif. Rien n’est surligné. Tout est susurré. C’est malin et inspiré, subtil et élégant. Alors, saudade, oui assurément, mais de celle qui n’oublie jamais qu’au coin de la rue d’une ville sauvage peut surgir la félicité.

On peut être très sensible et pourtant se montrer impavide : c’est le cas de Casagrande et de ses Villes Sauvagesoù l’on a qu’une seule envie, s’y perdre, et surtout, surtout ne jamais retrouver son chemin.

Arnaud de Vaubicour

Villes Sauvages a été conçu au studio LITTLE avec Fabien Martin à l’enregistrement, au mixage et à la réalisation. Il a également joué quelques claviers.

Musiciens : Armelle Pioline (Holden, Superbravo) au chant sur « Le Gant sur la Peau », Colotis Zoé (Caravan Palace) au chant sur « Sur les Balançoires »,  Franck Amand à la batterie (Catherine Ringer, Clara Luciani, Gauvain Sers), Sébastien Collinet à la guitare (Alexis HK, Emilie Marsh), Jeff Hallam à la basse (Dominique A, Brisa Roché, Barbara Pravi), Paul-Marie Barbier (vibraphoniste de Caravan Palace), Anthony Caillet au flugabon et euphonium (scène avec Mathieu Boogaerts), Hikmet Thiery au trombone (Roseaux) et Jean-Philippe Feiss au violoncelle.

Villes Sauvages

en 10 lignes :

« Heureux d’être triste ». Cette formule lapidaire pourrait correspondre à ce que Casagrande, alias Nicolas Contant parvient à faire passer au travers de son album « Villes Sauvages ». 

Onze cartes postales d’un paysage émotionnel certes rempli de doute, mais aussi, et surtout, de joie.

Du tumulte de ces villes sauvages au calme des rivières, de (re)découverte de la nature et du vivant, Casagrande semble sur cet album vouloir se soustraire à la véhémence des milieux urbains, s’éloigner de l’émulation permanente créée par les foules. Ce pari musical, mélant habilement l’urgence et la suavité du son pop, s’affranchit ainsi du passé et regarde droit devant.